jeudi 17 février 2011

Le roi et la reine de la fève


Puisque ces jours-ci je serai beaucoup présente à la Foire du livre de Bruxelles  (voir ici) je vous mets le début d'une des nouvelles qui composent mon recueil "Les dessous de tables"
Cela vous donnera peut-être l'envie d'en lire davantage. Alors si vous le souhaitez,  il suffit pour vous procurer le livre, de cliquer sur le logo de la couverture qui apparaît sur la colonne de droite... ( il est possible aussi de m'envoyer un petit mail)

L’homme est en chemise blanche et la cravate dénouée. Il a déposé son veston sur une chaise car il a chaud. Très chaud. La sueur perle sur son front, a dessiné de larges auréoles sous les aisselles. Sur la tête de l’homme, il y a une couronne en carton. Une couronne de roi en carton doré qui scintille sous la lumière des lustres. L’homme enlace une femme à laquelle il sourit. D’un sourire charmeur évidemment. Les travaux d’approche sont largement entamés.
La femme regarde son compagnon et ce regard consent déjà. Elle s’est lovée contre lui, à moins que ce ne soit lui qui la maintienne si étroitement serrée, au rythme de la musique langoureuse. Les deux peut-être, les deux sans doute. Elle porte elle aussi une couronne en carton, qui brille sous les lumières de la fête. Sa robe est légère et fleurie. Elle virevolte. Aérienne et désirable, elle lève vers l’homme un visage  éclairé du bonheur de se trouver blottie ainsi contre lui, avec la permission tacite et amusée des autres convives.

Car dans cette pièce, c’est la fête. On rit, on boit, on danse, on a chaud, on s’amuse. Les vestons sont tombés, les petits pulls de laine aussi : on transpire un peu, mais cela fait partie du jeu. 
On vient de manger la galette des rois. L’homme en chemise blanche a eu la fève. Il est donc le roi ! C’est normal ! Il est beau, séducteur, charmeur, enjôleur, ensorceleur. Tout le monde l’aime. Les femmes surtout ! Et voilà qu’il a choisi la reine du jour, sa reine, à qui il sourit, qu’il a prise dans ses bras pour un petit pas de danse, qu’il serre étroitement contre lui.
Mais cette femme n’est pas la sienne. Sa femme est là, à l’écart dans la pièce, à regarder ce qui est en train de se passer sous ses yeux. Elle frissonne un peu, c’est bizarre car il fait si chaud.  Elle a gardé son petit pull de laine rose qu’elle a tricoté elle-même.

Oubliée de tous, une fillette chipote dans son assiette de porcelaine de Limoges, le morceau de la galette des rois qu’elle est priée de manger jusqu’au bout : on ne laisse pas de la nourriture dans son assiette, rapport aux petits Africains qui ont faim !

Avec ou non cette couronne en carton sur la tête, destinée ce jour-là au roi de la fève, l’homme en chemise blanche est toujours et de toutes façons le roi de toutes les fêtes.
La femme qu’il a choisie pour être sa reine en carton, eh bien ! cela lui plairait beaucoup d’être davantage que sa reine d’un jour. Elle est folle de joie d’être aujourd’hui l’élue du roi séducteur, enjôleur, charmeur. Elle n’ose y croire encore. Elle penche la tête vers lui avec un sourire qu’elle imagine irrésistible. D’ailleurs il ne résiste guère, il approche imperceptiblement ses lèvres et les bouches s’attirent et les corps frémissent. Elle, pressée contre lui, tout contre sa poitrine chaude de vin et de rire, lui dont le bras solide la maintient serrée consentante. Et le désir monte, gonfle, gronde, s’électrise.


Les amis conviés à ce spectacle imprévu sourient d’un air entendu et devinent déjà l’issue de la pièce. Mais ils font semblant de rien, c’est plus simple assurément et surtout cela leur vaudra une représentation unique, qu’ils attendent patiemment. Alors tout en surveillant le couple du coin de l’œil avec gourmandise, ils échangent un mot distrait avec leur voisin, se resservent un petit coup de ce vin exquis, n’est-ce pas qu’il est bon ? Ils taquinent un moment la fillette intimidée qui s’est réfugiée dans un coin de la pièce. Mais surtout, ils observent à la dérobée la femme du roi, assise à l’écart du désir et du rire, là au bout de la table, dans un coin de sa détresse. La femme du roi regarde, attentive et ses yeux captent les minauderies sucrées du couple de la fève. Elle tente de surprendre les lèvres qui se rapprochent.

La femme du roi sait qu’elle n’est pas la reine, mais elle s’oblige au sourire forcé des gens de bonne compagnie. Mais la sienne de compagnie on l’évite, abonnée qu’elle est à cette fatigue sombre à laquelle le médecin consulté n’a pas encore donné de nom précis. Juste un médicament pour faire passer ce mauvais moment. Evoquant l’hiver et son manque de lumière. Mais cela ne passe pas, au contraire, cela s’éternise depuis des mois maintenant. Alors on évite de parler à la femme du roi si invariablement triste, car chacun aujourd’hui entend faire la fête, chanter, boire, rire et même si possible, baguenauder un peu en dehors des chemins conjugaux.
Après tout, les temps sont durs, on n’a que le bien qu’on se fait et c’est drôle n’est-ce pas, de voir le roi et la reine dont les lèvres se rapprochent irrésistiblement. Quel beau couple ils font, il faut absolument les photographier, qui a son appareil photo ? Toi René ? Allez un clic et ils sont dans la boite pour les siècles des siècles.

L’enfant qui n’est plus tout à fait une enfant, essaie d’avaler la dernière bouchée de cette galette de malheur. Un vrai étouffe-chrétien, comme dirait son père qui danse là avec sa couronne de roi sur la tête. Elle déteste ces couronnes de mascarade. Elle déteste cette danse de mirliton.



 (suite dans le livre ;-))

21 commentaires:

  1. Je viens de terminer ton livre (oui, je sais, je lis lentement et je ferai prochainement un billet pour dire ma joie de t'avoir découverte.
    Je t'embrasse
    Célestine

    RépondreSupprimer
  2. merci Célestine... je t'embrasse aussi!

    RépondreSupprimer
  3. Bien observé mais ça ne m'étonne pas de toi.

    RépondreSupprimer
  4. Je me rappelle de la suite ....comme quoi, tu vois, j'ai aimé ces nouvelles !

    RépondreSupprimer
  5. Je t'ai écrit un long com qui s'est perdu dans les sables du net, comme l'okavongo se perd dans son delta terrestre.

    Dialogue et récit cruels et pourtant bien réels, combien sont ils à se pavaner et à fair les coqus
    à poser leur couilles sur le volant et à parler haut et fort d'un ton sur qui ne supporte pas la contradiction.
    Peinture affligeante d'un délaissement/abaissement sans morale ni conscience qui ravale au rang de subalterne des femmes soumises ou bien trop ternes, pourtant je crois qu'aucun grand homme n'a existé sans elles
    et je ne pense pas aux mères, jocastiennes ou exclusives mais aux femmes dévoués et aimantes, véritables aides de camp, logisticiennes, organisatrices et pas pour autant dominatrices
    Je lis à l'instant le N° SP2CIAL de science et vie consacré à Marie Curie, fille, femme , mére et épouse remarquable et qui m'est si chère puisque je suis diplomé de l'UPMC.
    Merci de ce propos sans concession mais qui mériterait bien de la part de la gente masculine quelques confessions et concessions à la vérité, à l'histoire et à l'honneur bafoué.

    RépondreSupprimer
  6. Flûte ! Mon commentaire est passé à la trappe…

    RépondreSupprimer
  7. Je n'ai pas encore lu ton livre, Coumarine, mais ce ne saurait tarder... :-)
    Belle fin de semaine à toi.
    Je t'embrasse.

    RépondreSupprimer
  8. Houlala ^^ Therry s'est enflammé! :)))

    Bien joué Coum, j'ai envie de lire la suite, savoir ce que cette petite fille va faire... :) Ton livre sera dans mes achats du mois de mars ;) bises et bon salon ;)

    RépondreSupprimer
  9. Il y a des orfévres en goujaterie qui par égotisme patenté (mais prsque) se croient forcé d'en rajouter dans la provocation.
    Il veulent toujours plus que leur part de gateau et font dans le démonstratif qui en est pitoyable pourtant combien se font accompagner de potiches, les fortiches qui roulent et se pavanent, les dandins surs d'eux qui font effet , mais mieux vaudrait éviter de montrer l'affront, la moquerie ouverte (ou la supercherie découverte) là où ils se perchent entre méchanceté et bétise ils n'attisent pas la convoitise, l'homme aime se donner en spectacle, la réciproque est sans doute vraie, mais tout dans ce trait me répugne et cela ne mériterait qu'une bugne. Ce n'est pas tant l'infidélité qui est en cause que le mépris souverain affiché par ce roi d'opérette, qui choisit en pérette et le pot au lait, dévoilant décoiffant qui le pot aux roses, dans des afféteries de rigueur qui montrent ses ardeurs à faire assuat de courtoisie devant la gente féminine, que voilà un joli coeur qui doit savoir trousser du compliment au kilomètre tandis qu'il fait glousser dans le poulailler.
    Mais ce renard qui n'attend que le déssert pour servir sa proie est dans ce rôle de lâche bien à l'étroit.

    RépondreSupprimer
  10. C'est quoi ces commentaires qui passent à la trappe????
    je vais protester vigoureusement!!!
    Blogger tu m'entends???? je veux mes commentaires...!!!!

    Dis thierry, mais tu te fâches sur qui là????
    allez il n'y a pas de féministes rigides ici...personne qui agresse la femme
    (sourire)

    RépondreSupprimer
  11. et bien Coum, je n'aurais jamais cru que tu étais si cruelle dans tes écrits... j'aime bien. Il faudra quand même que je le lise ce livre. Bon courage pour la foire ;)

    RépondreSupprimer
  12. Bonsoir Coumarine, excuses moi d'avoir passé mes nerfs sur ton blog, je suis à cheval sur les principes et la politesse est une valeur cardinale dans ma vie, comme l'admiration non feinte que je porte aux femmes de ma vie, pour avoir des rapports toniques mais démocratiques, je n'oublie jamais que nombre d'entre elles font la double journée et c'est pourquoi j'ai mis ma vie professionnelle entre parenthèse pour que ma femme reprenne ses études et mieux m'occuper de mes deux enfants, certes ma femme a parfois usé d'arguments, et je ne dirais pas que le partage est absolument équilibré mais je dois dire qu'ayant eu une mère au foyer j'avais du chemin à parcourir comme enfant du baby boom, enfin je trouve que c'est normal de tout partager et puis j'apprécie mes collègues dans le travail, elles sont modestes et opiniatres, ne la raménent pas à tout bout de champ dans des envolées "je sais tout".

    RépondreSupprimer
  13. @MissK...comme l'indique le titre, les sujets abordés en effet ne sont pas très joyeux... mais bon, ils parlent de la réalité...

    @Thierry ...sans rancune, $
    mais ce sont MES amies, il n'y a pas de motif de les "agresser"
    Ce sont de super nanas!!!
    Je crois qu'il y a eu malentendu...ça arrive...

    RépondreSupprimer
  14. Bon je crois qu'il y a erreur, je n'ai aucune rancune, j'ai juste essayé d'expliquer le contexte de ma réaction, certes un peu exacerbée. Je ne me suis attaqué à personne et en particulier pas aux femmes, TES amies, si ma présence n'est plus souhaité, je me le tiendrais pour dit.
    Bref si mes propos ont pu les agresser j'en suis désolé car tel n'était pas le but.
    Il y a effectivement un mal lu mais il n'est pas de mon fait.

    RépondreSupprimer
  15. @thierry.... ta présence est toujours souhaitée, évidemment!!!!
    comme celle de tous ceux qui ont envie de venir ici...
    surtout ne te cache pas;-)))

    RépondreSupprimer
  16. Bjr Coumarine. Ton livre comme tu le sais, je l'ai lu et je t'ai dit que je ferai un commentaire mais pour cela j'ai besoin de le relire (j'ai besoin un certain temps!)contrairement à la lecture de "L'enfant à l'endroit, l'enfant à l'envers" où immédiatement après je t'avais fait part du plaisir que j'avais ressenti à le lire et de tout le bien que j'en pensais. Aujourd'hui, je passe ici pour tout simplement te féliciter pour ta préface dans le livre d'Alain. Dès le début tu as accentué l'envie en moi de tourner la page pour voir ce qu'il y avait sur la prochaine "Tout au long de ces pages, c'est un chemin de profonde humanité qu'il m'a été donné de parcourir." C'est ce que j'ai également ressenti. Bonne journée à la Foire du livre!

    RépondreSupprimer
  17. Ca me fait étrange de lire ce début d'histoire qui ressemble à ce que j'ai vécu une fois avec Rubi. Peut-être pour ça que j'avais reculé la lecture de ta note... je devais le sentir ! ;-)

    J'aime bien ton style d'écriture... je l'avais remarqué dans ton livre sur les blogs.

    RépondreSupprimer
  18. @Josiane... mon livre raconte des histoires parfois cruelles dans leur réalité humaine
    Non tout le monde il n'est pas tout beau ni gentil...
    Et l'émotion que je peux faire passer, elle l'a été surtout dans le livre que tu cites

    Contente que tu aies apprécié le beau livre d'Alain... Ma préface exprime ce que j'ai ressenti durant ces mois de travail et de (re)lecture avec lui... quelque chose de très fort que raconte le livre avec émotion retenue

    RépondreSupprimer
  19. @Koriganne... dans ce livre comme je l'explique à Josiane, je raconte les dessous des événements, ce qui n'est pas montré, les petites cruautés et mesquineries, les désirs cachés, les grands et petits chagrins... comme est la vie finalement
    C'est pour ça que les gens se reconnaissent dans mes histoires...

    Tu aimes mon style...ça me fait plaisir, merci!

    RépondreSupprimer
  20. je t'ai dit que je t'écrirai plus longuement à propos de ton livre. pas fait encore,excuse moi, je veux encore le relire car il est fort dans tout ce qu'il exprime ; très bien écrit, très bien "vu" aussi.
    J'ai eu envie - pour certains chapitres - que l'histoire ne se finisse pas ou du moins pas de cette façon, cruelle parfois mais la vie n'est-elle pas cruelle elle aussi, impitoyable et terriblement égoïste ?
    Continue encore à nous donner du plaisir à te lire, Coum et à bientôt.
    je t'embrasse

    à tous tes amis sur ce blog : achetez vite le livre, Coum a du talent, mais vous le savez déjà !

    RépondreSupprimer
  21. Oui loulotte, il y a des gens qui m'ont dit que certaines de ces histoires sont "cruelles"
    Je crois que c'est la vie, tout simplement
    Et comme ont dit plusieurs des critiques, il y a de la tendresse pour mes personnages...

    RépondreSupprimer

un petit mot à dire?

LinkWithin

Related Posts with Thumbnails